Thursday, April 16, 2009

Rue du départ

Un vieil homme un jour a dit que « nous nous accomplissons tous et ce n’est pas une question de longueur de vie mais d’intensité. »1
En décidant de faire ce voyage j’ai décidé d’appliquer à la lettre cette philosophie. Cela fait maintenant plusieurs mois que je pense à ce voyage et j’ai eu le temps de bien mûrir ce départ.
Plusieurs événements dans ma courte et très calme vie m’ont fait réfléchir sur ce que j’étais censé faire de ces quelques 60 ans restant, dans le cas le plus optimiste. Je n’ai bien évident pas trouvé de réponse et je ne pense pas que ce soit réellement nécessaire. En tout cas je sais ce que je ne veux pas. Cette vie qu’on m’a donnée, cette fraction de seconde quand on regarde à l’échelle de l’univers, je ne veux pas la passer devant un écran d’ordinateur à faire du calcul ni bosser pour l’industrie comme un petit robot formaté. Ce monde-là est terriblement réducteur, infantilisant et ne laisse aucune place à l'Homme ni à la moindre créativité. J’ai eu la chance de faire mes premiers et derniers pas dans l’industrie au sein d’une petite structure avec des gens très agréables et intelligents. Pourtant même dans ce cadre il me semble impossible de s’épanouir. « Mais de quel épanouissement parle-t-on alors qu’il s’agit uniquement de faire du chiffre ? » 2
Cela semble tellement évident quand je l’écris que je me demande encore comment j’ai pu l’envisager. Alors bien sûr ce voyage n’est pas une fin en soi. Il m’arrive même parfois de culpabiliser de partir durant un an (voir plus) sans travailler pendant que d’autres continuent de passer leurs 40 heures (voir plus) par semaines au boulot. Cette valorisation par le travail est tellement bien ancrée qu’il est mal vu de ne pas travailler ne serait-ce que pendant quelques temps alors lorsqu’on l’a choisi … Nous pensons être libres de nos vies alors qu’implicitement la société nous impose un schéma dans lequel il faut trouver sa place, ou plutôt je dirais qu’il faut choisir une place formatée parmi un choix restreint et dépendant en grande partie de nos origines sociales. J’ai jusqu’à aujourd’hui eu l’impression d’avoir agi en homme libre. Et pourtant je crois n’avoir fait aucun choix. Je me suis laissé porter par les événements, j’en suis le seul fautif, pour finalement trouver ma place, j’ai envie de dire « naturelle », dans cette société. Mais cette place je n’en veux pas. Cela peut choquer quand on pense au nombre de gens qui en rêve mais je crois que c’est voir les choses du mauvais angle. Je suis né du bon côté d’un pays parmi le bon côté de la planète. J’ai de la chance. Et cette chance que beaucoup m’envie je ne veux pas la gâcher justement à me morfondre dans un train-train qui ne me convient pas. Je veux vivre ma vie intensément et la prendre enfin en main. « Je suis sans arrêt déçu par le manque d’exigence que nous montrons vis-à-vis de nous-même et du monde […] Nous devons nous donner les pleins pouvoirs. » « Je veux apprendre, penser, écouter. Je veux discuter de la manière dont nous vivons nos vies, quelles sont nos valeurs, quelle sorte de gens nous sommes devenus, et ce que nous pourrions être si nous le voulions. » 3 Je veux vivre intensément et consciemment ma vie. Et, dans un premier temps je veux voir cette planète sur laquelle je suis né, par moi-même, et non plus par les images et les informations dont on nous abreuve.
« Il se trouve beaucoup de gens qui disent qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voyagent tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace. » 4
Et ne serait-ce que dans l’idée du départ, ma vie a pris une teinte différente. Parce que je ne me fixe pas de retour, je vis cette vie en France à Grenoble de manière intense justement. Je prends conscience que le temps est compté et tout devient plus fort même les choses dont j’ai l’habitude de faire depuis bientôt 25 ans. En ce sens je sens que je vais dans la bonne direction et c’est un sentiment terriblement agréable et, je dois l’avouer, assez nouveau pour moi. Maintenant malgré cette page de justifications je vais citer ce qu’il me semble être le plus important à propos du voyage :
« Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on fait un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » 5

Clément

1.extrait de l’émission de France inter « nous autres » sur Stéphane Hessel. Je vous invite vraiment à écouter cette émission ainsi que l'entretien video plus bas. On a beaucoup à apprendre de cet homme...
2.extrait du livre de Michela Marzano, "L'extension du domaine de la manipulation".
3.extrait « Le bouddha de banlieue » de Hanif Kureishi.
4.et 5.extrait de « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier. Merci mamie Céline pour ces deux livres.

2 comments:

Jocelyn Lucotte said...

« Alors comme ça, monsieur veut partir voyager. Monsieur trouve que la vie qui lui est offerte ne lui convient pas, monsieur ne veut pas se laisser enfermer dans la routine...

Et tu crois pas que toutes les questions que tu te poses, c’est des questions de petit bourgeois ? Si t’avais connu un peu plus de galères, tu te satisferais de ce que t’as...

Et d’ailleurs, voyager... Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que ce sera mieux ailleurs ? Dans un an, tu reviendras en te disant que finalement, la France est quand même un beau pays... Ça, y a pas besoin de faire 20 000 km pour le savoir.

Et puis voyager où ? Vers l’est ? Ah, l’orient ! L’orient ! C’est très romantique tout ça. On se prend pour Marco Polo, on se prend pour Arthur Rimbaud ! Tu sais, tout le monde se prend un jour pour ces gars-là, mais t’as plus l’âge, mon grand. C’est des rêves pour les adolescents qui regardent à travers les fenêtres de leur salle de cours, rien de plus. Rien de plus...

Ton Corto Maltese, pour info, c’est qu’un personnage de BD.

Et ta sécurité sociale, tu y as pensé ? Et tes cotisations pour la retraite, tu y as pensé ? Ah non, bien sûr, ça, on y pense pas... Monsieur n’est pas un pragmatique, monsieur est un rêveur, c’est ça ? »

Allez mec, s’il te plaît, tiens bon.

Si on est deux, on est pas seuls, pas vrai ?

Clément said...

Oh c'est sur qu'on est pas seuls mon grand! A la guesthouse d'İstanbul on a rencontré un anglais qui voyage en motos et qui disaient presque mots pour mots ce que j'ai écrit plus haut. Une super rencontre. D'ailleur j'ai mis son site en lien si ca interesse quelqu'un...